La presse a réservé aux évènements survenus dans la nuit du 26 mars 2021 un traitement qui fait croire aux manifestations de la germination de l’ethnisme dans le campus universitaire. Cet argument ne résiste pas à l’analyse des acteurs et des observateurs.
Le décès d’un des belligérants de la bagarre rangée survenue la nuit du 26 mars 2021 apporte de la clarté pour le décryptage de l’évènement. La victime n’est pas un étudiant régulièrement inscrit depuis plusieurs années. Comme des cochers à la manœuvre, la presse sénégalaise semble procéder, avec des œillères bien vissées, pour faire prospérer des angles de traitement qui imposent une lecture biaisée de la bataille rangée attribuée à Kekendo et Ndef leng.
Le journaliste-écrivain Makama Ibrahima Diakhaté explique l’origine de ce biais par ce qu’il appelle « cette propension bien sénégalaise qui consiste à considérer toute personne qui est de la Casamance, ipso facto, diola. C’est dire que, dans l’imaginaire collectif d’une foultitude de compatriotes, « diola » renvoie plus à une appartenance géographique (Casamance) qu’à un référentiel d’ordre ethnique.»
Associations multi-ethniques
Ousmane Sonko, étudiant, confirme que les évènements survenus dans le campus n’ont rien d’ethnique. « Il m’est inconcevable que des sérères et des diolas puissent se verser mutuellement leur sang au nom d’une cause. Il faut chercher ailleurs une explication de la bataille rangée attribuée à Ndef Leng et Kekendo ». Comme s’il voulait donner du poids à son argument, il affirme : « je suis sérère et je milite à Kekendo. Kekendo, c’est le Sénégal en miniature. On y dénombre des wolofs et les autres ethnies du Sénégal.» Ousmane Sonko est originaire de Mbour. L’arrivée de son ami de Ziguinchor interrompt nos échanges. Ils avaient des rencontres à mener pour éveiller la prise de conscience de leurs camarades.
Pour rappel, les titrailles proposaient, entre autres: « Dérives ethnicistes : le Sénégal face aux démons de la division » balance ITV sur sa page Facebook. « Violente bagarre entre « Kekendo » et « Ndef Leng » sert xibaaru.sn alors que senego.com parle d’une « bagarre généralisée entre étudiants à l’Ucad». samarew.com informe d’une « bagarre entre associations ethniques à l’Ucad de Dakar.»
Par contre, Amsatou Ndiaye, étudiant en journalisme, n’abonde pas dans le même sens. Selon lui, « les médias sont trop vite allés en besogne. Même les sites d’information en ligne que nous jugeons sérieux ont titré sur un affrontement entre des communautés ethniques. Ce qui ne résiste pas à l’analyse. En effet, on m’a parlé du militantisme de Thérèse Faye dans Kenkendo qui est sérère. En vérité, c’était un problème minime qui est parti du saccage d’une moto d’une personne appartenant à Ndef Leng à la suite d’un accident. Et la riposte qui a découlé de l’accident a fini par déclencher la spirale d’une violence entre deux groupes ». M. Ndiaye confirme donc qu’au départ, le problème n’avait rien d’ethnique. « C’est un règlement de comptes entre deux étudiants qui est à l’origine de la bataille rangée.»
Aux origines de Kekendo
Makama Ibrahima Diakhaté nous explique : « La philosophie – si on est tenté de l’appeler comme telle – en lame de fond du Kekendo est le culte du travail, de l’endurance, l’esprit d’entraide, une culture physique par la pratique sportive et la musculation, la culture tout court par l’exposition à la face du monde des valeurs culturelles de la Casamance. Cela se passe par des manifestations d’envergure comme les jambadongs pendant lesquels kankourang, Koumpos et autres patrimoines matériels et immatériels du sud du pays sont exposés fièrement.»
Il rappelle, dans son analyse, que le premier président de Kekendo, M. Manlang Seydi, lui a confié que leur objectif était « … de réunir les étudiants désemparés par la vie universitaire, loin des parents et du milieu social d’origine ».
Il est vrai aussi que les organisations naissent et grandissent en s’écartant de leurs idéaux. Cependant, le référent des étudiants, le parrain de l’université les appelle, pour leur devenir, en ces termes : « formez-vous. Armez-vous de science jusqu’aux dents pour arracher votre patrimoine culturel». En ce sens, l’université se veut un espace de liberté qui promeut la diversité culturelle.
D’ailleurs un membre de Kekendo rappelle : « nous cherchons même à mieux comprendre ce qui s’est passé. L’attaque a eu lieu alors que nous devrions organiser les 72 heures de festivités que nous célébrons chaque année. Nous sommes une association culturelle reconnue qui promeut aussi le développement de la Casamance. On ne doit pas oublier que l’idée de la mise en place de Kekendo est née juste après le naufrage du bateau Le Diola qui avait occasionné la mort de 16 étudiants. C’est en ce sens que nous facilitons l’intégration des nouveaux bacheliers.» Il rappelle que « Kekendo est une association apolitique »
L’école a-t-elle tenu la promesse d’enraciner le Sénégalais à ses valeurs ? Le Président Léopold Sédar Senghor indiquait la diversité culturelle comme le terreau fertile de la rencontre du donner et du recevoir. Il fonde son espoir de la perpétuation de l’humanité sur la civilisation de l’Universel. En ce sens, Cheikh Anta Diop, le parrain de l’Université de Dakar, cherche et trouve dans la parenté linguistique ce qui lie les ethnies malgré la diversité des langues qu’elles parlent.
Cheikh Sidil Khair MBAYEssé